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Le calvaire de Serge Adiasse

COMMEMORATION DU 2 SEPTEMBRE 1944

                               Serge Adiasse raconte son calvaire

 

       Fin août 1944, alors que les troupes Alliées faisaient enfin souffler une bouffée  d'espoir de la prochaine libération du joug allemand, 36 hommes n'ont pu connaître ces instants là.

       Ils etaient  de ceux qui n'avaient pas désespéré de la Victoire, souvenez vous, le 2 septembre 1944 les allemands en retraite massacraient la presque totalité des hommes des hameaux du Gard d'Etreux, de la Junière à la Neuville les Dorengt.

       Jamais on n'aurait osé imaginer, que des êtres humains puissent se livrer à de pareils agissements.

        Nous fûmes bousculés de tous côtés au gré des désirs des Nazis, les coups de bottes, les coups de crosses, les rafales des mitraillettes et les tirs des fusils qui furent fatals pour presque tous les hommes arrêtés et aussi, comble de l'horreur, certaines victimes furent mutilées à l'arme blanche devant leur famille. Cette souffrance infinie, il faut l'avoir ressentie pour en connaître l'étendue. On ne peut l'exprimer avec nos misérables mots.

       Comment, saurait-on mesurer, le courage des habitants pendant ce carnage épouvantable, les fenêtres brisées, les portes enfoncées, les meubles qu'on entasse, les grenades incendiaires et autres brutalités odieuses. Que de détresses devant toutes ces ruines et devant les cadavres de nos êtres chers.

 

 A la Neuville les Dorengt,   le samedi 2 septembre 1944, vers 9 heures le hameau de la Junière, fut investi par un très important groupe de soldats allemands qui ont franchi le canal à l'écluse n° 2. Ils sont fortement armés, 9 hommes sont faits prisonniers dont un agent de liaison du groupes LAMUR, Colbert QUENTIN, 22 ans instituteur à la Neuville les Dorengt.

       A cette époque, âgé de 19 ans, je suis parmi les prisonniers. Après une copieuse distribution de coups de crosses et de coups de bottes, les SS nous ont alignés dans la cour de la ferme de Monsieur Lucien PEREAU pour être fusillés, devant les femmes et les plus jeunes enfants. Mon père, René ADIASSE, 44 ans, ancien prisonnier civil de 1914 1918, comprenant la langue allemande et Colbert QUENTIN, tentèrent de parlementer, avec le Commandant des SS. Vous terroristes, vous tous kapout, répondait toujours l'allemand furieux d'avoir découvert  2 camions dans une grange voisine.

 Ces 2 camions  avaient été attaqués le 1er septembre par les FFI.

        Des coups de feu se firent entendre, venant des quatre chemins de la Junière. 6 FTP, alertés par les incendies s'étaient avancés en reconnaissance. Ils ont du, engager le combat avec les allemands. De nombreux soldats ennemis refluèrent alors dans la cour de la ferme PEREAU rendant compte de l'accrochage avec les résistants au commandant des SS.

       Le commandant se mit à hurler et à vociférer de plus belle. Pour faire taire les armes des résistants, il nous utilisa comme bouclier vivant,  mains sur la tête et côte à côte, les boches nous poussèrent sur toute la largeur de la route.

Nous étions en 1ère ligne, mais on s'est comporté avec honneur et courage. Nous voyant,  les résistants se replièrent et le feu cessa.   Leur chef dit « le Marocain » fut blessé durant leur retraite.

       Les SS étant maîtres du carrefour nous ont contraint de faire demi tour, toujours les mains en l'air, avec force de coups de  bottes et de crosses. Plusieurs SS ont utilisé leur poignard ou baillonnette.

       Sur ce retour, mon père nous fit comprendre de profiter de la moindre occasion pour fuir.     

Hélas, notre groupe était cette fois dans la cour de la ferme de Monsieur André BOULANGER. L'espoir de se sauver était mince, les SS nous ont mis dos au mur et mis en joue. Colbert QUENTIN voulu encore parlementer en vain.

Soudain mon père cria « vive la France » et sauve qui peut.

       Tandis qu'Émile MOINEUSE, un ancien de Verdun, supplia encore les soldats,  tout en autant ôtant sa casquette. Comme réponse, une rafale lui coupa la main droite, j'ai vu des doigts tombés avec sa casquette et il bascula au sol à 30 cm de mes pieds.

       Voyant la tournure et les fusils pointés sur nous,   je fis un écart pour me jeter à terre avec l'intention de faire le mort. Les tirs m'ont blessé une première fois dans le dos, j'ai senti ensuite un corps tomber sur moi. Les SS ont continué de tirer sur nous à terre. Je fus encore blessé 2 fois, par balle à la cuisse droite et d'une balle explosive au mollet gauche,  je n'ai pas bougé et fait le mort, cela m'a évité une balle dans la tête comme Alfred MOINEUSE qui se traînait en s'aidant des mains et qui fût achevé d'une balle de fusil dans la tête.

       Après avoir crié « sauve qui peut » mon père s'est précipité vers une écurie en flamme, en bousculant l'officier SS qui chuta par terre, il fût imité par André BOULANGER, Joseph MACON et mon frère Roger. Hélas pour les autres otages : Colbert QUENTIN, Emile MOINEUSE, Alfred MOINEUSE, Lucien PEREAU c'était trop tard. Camille BLEUX, 28 ans était avec sa femme et son enfant dans leur habitation, il fût aussi bousculé et tué d'une balle dans la tête. André MORO, 47 ans et ses 2 fils, Joseph 20 ans, Jean 17 ans furent contraint de marcher devant les nazis et abattus lâchement dans le dos. Bernard POITOU, 64 ans fut tué devant sont estaminet avec Emile CONDRON 80 ans.

       Les nazis n'ont pas pénétré dans l'écurie, ils ont lancés 2 grenades et pour finir leur tâche en quittant la ferme, ont de nouveau lancé une grenade dans le groupe des corps au sol et je fus de nouveau  touché aux 2 jambes par de nombreux éclats.

       Le clame étant revenu, les quatre rescapés sortirent à plat ventre de l'écurie. Me découvrant blessé ils me firent un garrot et me transportèrent avec une brouette à la maison paternelle où je fus soigné, lavé, pansé par une voisine Madame DEMARCQ, que je remercie pour sang froid et son dévouement, car je sais que ce fut difficile avec mes blessures importantes de nettoyer le sang séché et de faire des pansements.

       Le docteur Albert COLLET réussit à venir me voir vers 15 heures. Il vérifie le garrot et les pansements qu'il trouve corrects, me fait une piqûre de morphine et qu'il va faire le nécessaire pour mon transport  vers un hôpital, car il ne peut faire mieux au niveau de mes blessures. Il me dit d'être courageux car il se pourrait que l'on m'ampute de la jambe gauche. Je lui réponds que, même avec une jambe en moins, j'ai eu plus de chance que les amis qui étaient près de moi, car je suis vivant.

       A la tombée de la nuit, une ambulance américaine, guidée par Monsieur Alfred LEVEQUE, arrive pour m'évacuer. Le médecin américain parle assez bien le français, me fait à nouveau une piqûre de morphine et aussitôt 2 militaires américains m'installent sur brancard dans l'ambulance. Je suis vêtu d'une grande chemise avec un petit portefeuille contenant mes papiers d'identité épinglé sur mon épaule.          Dans l'ambulance le docteur reste près de moi ainsi que les 2 brancardiers. Monsieur LEVEQUE, lui prenant place près du chauffeur. Sur la route vers Etreux, au lieu dit «  la briquerie » l'ambulance américaine est arrêtée par un groupe de soldats allemands qui ont un drapeau blanc. Ils désirent se rendre aux forces américaines mais pas aux FFI. Le médecin militaire et les brancardiers sortent de l'ambulance, ils doivent parlementer avec les allemands et Monsieur LEVEQUE reste seul avec ce groupe de 28 allemands en armes. L'ambulance repart vers Etreux pour prendre un autre blessé, Monsieur Robert ISRAEL, qui a reçu une balle dans la poitrine.

       Nous arrivons à l'hôpital de Guise vers 22 heures. Dans un premier temps nous sommes alignés dans un vaste couloir avec d'autres blessés, les brancards sur le sol. Combien sommes nous ainsi allongés, je ne peux compter. Ensuite 2 civils font l'inventaire si on peut admettre ce terme, on nous demande notre nationalité, où se situent nos blessures. On monte à l'étage d'abord les 2 américains, puis les français. Quant aux allemands ils sont dirigés vers une salle du rez de chaussée.

       L'ordre de passage dans le bloc opératoire est le suivant : les blessés à la tête, ceux de la poitrine, du ventre puis les blessés aux membres. Comme j'ai des blessures aux 2 jambes et plus légèrement dans le dos, je ne suis pas prioritaire. C'est vers minuit que je suis déposé au bloc opératoire. La sœur infirmière défait le pansement de la jambe gauche et s'écrie « oh mon Dieu » tellement la plaie est affreuse, tout le mollet est éclaté déchiré par une balle explosive. Un infirmier me met le masque pour m'endormir et, ce n'est que le lendemain matin vers 9 heures que je reprends connaissance. D'un côté de mon lit se trouve une jeune fille, bénévole de la croix rouge, qui a passé la nuit près de moi, de l'autre côté la sœur infirmière et au bout du lit un prêtre, le vicaire de Guise, qui a été appelé, car pour le médecin chef j'ai peu de chance de survivre à mes blessures, car j'ai perdu beaucoup de sang. Je fus paralysé dix jours. Ensuite,  petit à petit, j'ai pu m'asseoir dans mon lit, mettre les pieds à terre, ce fût douloureux et laborieux de réapprendre à marcher. 3 mois après ce 2 septembre je suis rentré en convalescence chez mes parents avec obligation de revenir chaque lundi à l'hôpital pour que le médecin chef puisse examiner mes plaies qui n'étaient pas cicatrisées. Je ne pesais que 45 kg, je n'avais plus de forces, plus de muscles, je marchais avec une canne. À 19 ans c'était démoralisant, le médecin m'a conseillé de faire de la bicyclette et en effet, c'est le vélo qui m'a permis de me rééduquer car à l'époque il n'y avait pas de kinésithérapeute. Ce fut un épisode très pénible de ma vie, je dus subir d'autres interventions chirurgicales pour m'enlever divers éclats. Il m'a fallu plusieurs années pour récupérer et retrouver l'usage à peu près normal de mes jambes. Je suis toujours porteur de nombreux éclats métalliques et je ressens souvent des séquelles.

Mesdames, Messieurs, je vous remercie de votre attention.

 



24/09/2011
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