Je suis Albert le fils cadet de Jules Méresse et le frère de Gérard et Robert tous trois morts en déportation, je me souviens du passé et je le raconte aidé par les témoignages de Robert Roseleur et les précisions de Pierre Deshayes
JULES MERESSE
Mon père, Jules Méresse, est né le 23 janvier 1893 à Cartignies. En 1913, il s'engage pour 3 ans, il est affecté au 41 ième Régiment d'artillerie, en Septembre 1914 c'est la déclaration de la guerre Il restera au 41ième pendant toute la durée de la guerre. Il combattra dans les Flandres, la Marne, et Verdun.
En 1917 il sera cité à l'Ordre de la Division:
"Excellent sergent, donnant toujours et partout l'exemple du sang-froid et du dévouement notamment dans la nuit du 11 au 12 septembre 1917, nuit pendant laquelle, sous les bombardements violents, il a pris le commandement de sa pièce dont le chef venait d'être tué par un obus. A reçu la Croix de guerre et Droit au port individuel de la fourragère. Libéré le 31 décembre 1918, il reçoit, après sa libération, la Médaille des Héros de Verdun « On ne passe pas », la Médaille Militaire, la Médaille des grands blessés, et le 16 mars 1935 la Carte du Combattant, et le Diplôme des Héros de Verdun, avec citation
Aux grands chefs, aux officiers, aux soldats, à tous.
Le nom de M. Méresse Jules
Canonnier de première classe
41ième Régiment d'Artillerie de campagne
Est inscrit sur le livre d'or des "Soldats de Verdun"
Il est libéré en décembre 1918 et quand il arrive chez lui la maison est vide, sa mère est décédée, son père est prisonnier en Allemagne et son jeune frère a été recueilli par un oncle
En 1919, il se marie avec Marcelle Marit. Ils auront 4 enfants, Gérard en 1920, Robert en 1923, Lysiane en 1929, et moi-même en 1933.
En 1939, mon père sera rappelé sous les drapeaux, mais sera libéré trois jours plus tard étant donné son âge et ses blessures de 14 .18.
En mai 1940, devant l'avance massive des allemands il décide d'évacuer avec sa famille dans la C4 Citroën. Gérard, qui a 20 ans, attend son incorporation. Mon père, en grand patriote, lui dit «Toi tu resteras à la maison car tu vas être appelé pour défendre ton pays". L'évacuation nous conduit à Moulins- la Marche en Normandie. Il ira travailler, avec mon frère Robert alors âgé de 17 ans dans une ferme. Mais 15 jours plus tard, vu l'approche des Allemands, c'est un nouveau départ de toute la famille jusqu'à Chaudefond-sur-Layon, près de Châlons sur Loire. Huit jours plus tard, les Allemands arrivent. Les soldats français ont fait sauter le pont sur la Loire. Notre voiture est réquisitionnée par les Allemands pour transporter du matériel jusque dans des barques, seul moyen possible pour traverser la Loire. Quelques jours plus tard la voiture nous sera rendue intacte. Mon père décide alors de rentrer à Cartignies. Nous franchissons alors la Loire sur un pont de bateaux que les Allemands ont construit Je me souviens avoir eu peur.
L e retour ne se fera pas sans incident, il faut des laissez- passer et trouver de l'essence pour la C4. Fin juin, nous arrivons à Cartignies. Gérard est toujours là, son ordre d'appel n'est jamais arrivé, il a fait le travail de la ferme et surtout empêché le pillage chez nous et chez les voisins .Au fur et à mesure que les mois passent, la hargne de mon père contre les allemands est de plus en plus forte. Il voudrait faire quelque chose, mais ne sait pas vraiment quoi. C'est son cousin, Maurice Carniaux, Directeur d'Ecole à Fives Lille, déjà dans la résistance, qui va lui fournir l'occasion d'entrer dans celle ci, au début de 1941. Maurice Carniaux fait partie du groupe Libé Nord. Une filière est créée pour cacher les résistants recherchés par les Allemands. La filière est Maurice Carniaux, Madame Decarpigny, Institutrice à la Madeleine, Madame Désirée . Leprêtre qui travaille à la Mairie de Lille, et qui est bien placée pour faire des fausses cartes d'identité et surtout pour avoir des tickets de pain. La planque se trouve donc chez mon père. C'est pourquoi, à l'automne 1941 arrivent à la maison, Gilbert Bétrancourt, et plus tard en 1943 Pierre Deshayes avec Lionel Alloy, Maurice Gallet, Albert Van Wolput.
Avec l'arrivée du BOA, mon père entre en relation avec le groupe OCM de Landrecies de Roger Robert.
COUESNON « Nom d'une rivière du nord de la Bretagne près du Mont St Michel »
Après les pourparlers de mon père avec Jean Pierre et Lionel Alloy le terrain de parachutage est reconnu par Londres. Mon père prend contact avec ses amis anciens combattants de 1914 -1918: Paul Lécoyer, Léonce Roseleur, et son fils Robert, mes deux frères, Gérard et Robert, sont volontaires malgré les réticences de mon père ils forment un groupe de 6 hommes ils seront rejoints vers le 10 septembre par Fernand Wargnies (Raphaël) que le commandant Jean Pierre a nommé chef de secteur, c'est lui qui s'occupera de la répartition des containers parachutés, et par le capitaine Maurice Gallet (Gustave ) à certains parachutages. Le terrain s'appellera "Couesnon " il est situé sur des prairies appartenant à Paul Lecoyer dit le père Paul sur environ 6 à 7 hectares. Le premier parachutage est le 14 juillet le message personnel est " à bientôt des plus beaux jours". Les 6 hommes sont au rendez-vous à l'heure prévue, l'avion arrive, survole le terrain plusieurs fois mais ne voit pas les lampes. Une autre date est fixée: le 11 août ce qui est confirmé par le message personnel. « A bientôt des plus beaux jours » Ce jour-là les 6 hommes sont au rendez-vous avec des torches puissantes. L'avion arrive et survole le terrain et confirme qu'il les a repérés en allumant ses quatre feux rouges et largue son chargement de 5 containers avec 5 cellules par containers
Les cellules étaient empilées les unes sur les autres et maintenus par des sangles. Une fois les sangles enlevées, on avait
des containers de 35 kilogrammes faciles à transporter. Ces containers contenaient " des armes, du plastic, des postes émetteurs. Quant rien n'était prévu pour l'enlèvement, il fallait les conduire dans un endroit sûr où les enterrer. Chaque container était équipé d'une pelle.
Début décembre un parachutage est prévu pour l'OCM mon père me dit que le lendemain j'irai en classe en vélo, quand je pris le vélo le lendemain matin une petite valise était ficelée sous mon cartable mon père me dit de passer par la ligne de chemin de fer et de mettre mon vélo chez Julia Génard qui tenait le café au rendez vous des pêcheurs quand je suis arrivé à proximité du café cette dame m'attendait, je repris le vélo le midi mais la valise n'y était plus, c'était un poste émetteur pour le parachutage de l'OCM du 5 décembre. Le 10 janvier 1944, un nouveau parachutage est prévu. Le message personnel est :" les jours diminuent ". A ce parachutage Raphaël était présent puisqu'il avait été nommé chef de secteur par Jean Pierre. L'avion arrive et après avoir remarqué les torches, allume ses quatre feux rouges, part tourner beaucoup plus loin, et revient lâcher son chargement, Il largua les parachutes très précisément à l'endroit indiqué par les torches. Atterris, les containers destinés au groupe étaient vidés de leur contenu et les vides étaient jetés dans des fosses. Les containers destinés à d'autres groupes étaient enterrés dans l'attente de l'enlèvement. Le 5 février nouveau parachutage, le message est:" Les jours diminuent ". Raphaël et Gustave étaient présents avec le groupe des 6. L'avion arrive, largue son chargement: 25 containers. Quelques minutes après, un deuxième avion arrive. 25 nouveaux containers sont lâchés. Un container tombe à 5 mètres de Robert, le container est enfoui aux trois quarts dans la terre, il faut prendre une bêche pour le retirer. Un autre container s'ouvre en arrivant au sol, il contenait des grenades. Le tout était éparpillé sur le sol et malgré le beau clair de lune, il n'a pas été facile de ramasser la totalité. Ensuite, il fallut s'occuper des 50 containers. En pleine nuit, une garenne à lapin, recouverte d'épines servira de cache, les épines sont enlevées avec les mains, sous les épines c'est la terre qu'il faut creuser avec des pelles, la terre est jetée dans la fosse qui est contiguë à la garenne. Le père Paul est allé chercher un tombereau tiré par un cheval. Les containers sont dissimulés dans le trou fait dans la garenne et recouvert par les épines. Ils resteront presque deux mois à cet endroit.
Quant aux parachutes, il fallait les faire disparaître. La meilleure solution était de les brûler le jour pour ne pas se faire remarquer.
Le lendemain de ce parachutage du 5 février, Gustave informe Jean Pierre de la double réception sur Couesnon et de n'avoir pas eu le temps de relever les indications portées sur les cellules, le contenu de chacune d'elles était codifié par une lettre suivi d'un chiffre, et devant impérativement fournir ces indications au délégué militaire régional « René Fassin » Jean Pierre vint une semaine plus tard pour obtenir de mon père que les containers soient ressortis de leur cache, répertoriés et remis en place sous leur épais manteau d'épines. Effectué par 5 personnes seulement, ce fut un travail harassant.
Au petit matin Jean Pierre repris la route d'Avesnes et il fut surpris à plusieurs reprises de marcher dans le bas côté de la route à demi endormi.
L'arrestation : J'avais 11 ans, ce 17 mars 1944 et J'étais en classe à Cartignies mon village. Pendant ce temps, dans la ferme familiale située à 3 km 5 du village, mes frères, Gérard et Robert écoutent la radio de Londres, appuyés sur le châssis d'une petite fenêtre qui donne sur la route. Ils voient arriver une voiture particulière suivie d'un camion Allemand. Ils comprennent. Leur sang ne fait qu'un tour, Robert met la radio sur radio Paris, chose qui lui fera perdre beaucoup de temps, Gérard court vers la grange, mais la Gestapo avait déjà cerné la maison et arrive par l'arrière des bâtiments. Gérard est arrêté au moment où il monte à l'échelle, certainement, pour aller chercher son pistolet qui est caché dans le grenier. Robert se sauve par la prairie d'Émile Marion, les allemands tirent sur lui, Robert est obligé de s'arrêter sous la fusillade et de lever les bras. Il aurait voulu atteindre la haie où était caché son pistolet mitrailleur. Ma mère Marcelle, était absente. Elle était allée au marché d'Avesnes s Helpe avec le cheval et la voiture, seul moyen de locomotion à l'époque. Elle entendra les coups de fusil, car à ce moment- là, il y avait peu de voitures et la campagne était calme .A la ferme en dehors de mon père et mes frères, se trouvait ma sœur Lysiane, alors âgée de 15 ans. Mon père est arrêté au moment où il sortait des toilettes La gestapo fouille toute la maison et l'interroge. Mais elle ne sait rien. Après avoir tout fouillé et n'ayant rien trouvé, mon père et mes frères sont conduits vers le camion. Un de mes frères reçoit un coup de crosse de fusil à chaque escalier qu'il descend. Les Allemands les font monter dans le camion. A midi en sortant de l'école je me dirige vers chez Désiré Détrait le quincaillier du village, chez qui Je prends mon repas de midi. Un camion allemand passe à coté de moi Je ne sais pas que mon père et mes frères sont dans ce camion. Je vois bien des allemands armés à l'arrière du camion. A 13 h 30, heure de la rentrée des classes, l'Instituteur M Ellers vient me dire de rentrer chez moi. Et c'est seulement en arrivant à la maison, que j'apprends que mon père et mes frères ont été arrêtés par les allemands. En rentrant du marché d'Avesnes, ma mère apprend la nouvelle. C'est le déluge dans toutes les pièces de la maison. Les tiroirs sont retournés, tous les matelas ouverts avec une baïonnette. Au début de leur arrestation, le 17 et 18 ils étaient au siège de la Kommandantur à Avesnes sur Helpe Ensuite, le 19 et le 20 ils sont à Valenciennes et le 21 ils arrivent à la prison de Loos. Alors, ma mère chercha quelqu'un qui pouvait l'emmener à Loos., mais elle n'est jamais arrivée à les voir.
IL s'agissait maintenant de récupérer les armes cachées dans la garenne lors du parachutage du 5 février. Paul Lecoyer, Fernand Wargnies, Léonce et Robert Roseleur, sont allés chercher les containers et les ont transportés à St Algis dans l'Aisne. Le 6 juin 1944, la radio annonce que le débarquement a eu lieu en Normandie. Les jours et les mois suivants, nous suivons la progression des Américains. Le 24 et 25 août, c'est la libération de Paris. toujours. Le 28 août, les Américains sont à environ 50 km de chez nous. Ce jour-là un nouveau parachutage a lieu, c'est le dernier. Le message est " Gédéon fait des extra, deux fois et "quatre amis visiteront Gédéon", Le parachutage eut lieu sur les terres de Léonce Roseleur et d'Alcide Riche. Ce jour là, plusieurs groupes de résistance étaient présents, Robert Roseleur me dit " ce n'était pas cette pagaille lorsque nous n'étions que six pour les parachutages le lendemain de ce parachutage , Robert Roseleur est allé sur le terrain , il eu la surprise de trouver un parachute blanc et son container accroché à un arbre. Le 1er septembre, les américains arrivent. Ils passent sur la route de Floyon à Cartignies. Les Allemands, qui cherchent à fuir, arrivent d'un autre côté. Robert, voyant le grand jour arriver, va chercher ses armes Quand il revient avec sa mitraillette " STEN ",les allemands ont disparu. Chez moi, c'est la joie nous croyons que mon père et mes frères vont revenir. Nous ignorons, à ce moment là, qu'ils sont en Allemagne dans des camps de concentration. Vers vingt et une heures, nous entendons beaucoup de bruit et nous voyons une colonne de véhicules descendre la route face à la maison. Pensant que ce sont des américains, nous nous précipitons, ma sœur, ma cousine et moi même, à une fenêtre de l'étage. Celle-ci étant ouverte, nous regardons et nous constatons que ce sont des allemands. Cinq coups de fusil claquent. Heureusement, personne n'est touché. Le matin comme tout et calme, nous allons traire les vaches, et vers 9 heures nous allons voir les américains, et nous rencontrons Roger Marion il nous apprend que la colonne d'allemands qui a tiré, sur nous lorsque nous regardions à la fenêtre de l'étage, a tué Raphaël Roseleur. Pendant plusieurs jours, Robert Roseleur va, avec d'autres résistants, ratisser le village et les écarts à la recherche d'allemands qui fuient. Ils feront 3 prisonniers. Quelques années plus tard, Robert sera décoré de la Croix de guerre et, en 1990, 46 ans après, il obtiendra la Carte du Combattant volontaire de la résistance