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Paul Chabloz

 

Récit D'un Combattant  De l'ombre

Mémoires de son fils André

« Lorsque j'étais plus jeune, je n'ai jamais su ce qu'ils faisaient. J'étais une enfant. On ne parlait pas de ça aux enfants. C'était bien trop risqué ! Bien qu'étant très jeune à cette époque, je pense qu'il était tout à fait normal que les parents ne parlent pas de la Résistance devant les enfants car ces derniers aiment écouter et « raconter » ce que disent les adultes. Dans le cas qui nous concerne, les conversations auraient engendré des dénonciations et malheureusement des arrestations… à cet âge là, un enfant, c'est bien trop fier ! Trop inconscient ! Cependant, ensuite, mes grands-parents m'ont raconté tout ce que j'avais ignoré durant des années… Je ne dis pas que je n'avais pas de doutes, mais je considérais ça comme des « secrets de grands ». Et ce n'est donc que par la suite que j'ai appris l'existence de leurs actions et de leurs réseaux. »

Témoignage de Monique Carlier résidente à Avesnes

A cette époque, les enfants étaient mis au secret, on ne leur parlait pas des actions que les « grands » menaient silencieusement, dans la plus grande discrétion… Aujourd'hui, les années ont passé, et ces enfants sont désormais les seuls capables de vous parler de ce passé dont nous ne savons que trop peu de choses… Ils ont bien grandi ces « enfants », mais comment vous narrer ces histoires alors qu'on leur en a tant caché ?

Nous ne parlons pas assez. Des récits se perdent… Avec les années, beaucoup de

témoins de cette époque ont disparu et ont emporté avec eux leurs souvenirs. Qui

peut aujourd'hui raconter à leur place ce qu'ils ont vécu ? Ce sont des pans de notre histoire qui se ferment. Il ne faut pas ignorer le passé, mais le connaître pour mieux vivre

notre présent et nous forger un avenir meilleur. Tenir compte de ce qu'ont été nos aînés et de ce qu'ils ont fait pour la France fait partie de ce que nous ne devons ignorer. Il faut en parler ! Et ne jamais les oublier…

PROLOGUE

 Nous sommes de l'Avesnois, située dans la région sud du Nord-Pas-de-Calais, lui-même situé au Nord de la France. Nous allons à Avesnes-sur-Helpe, un petite ville, chef-lieu d'arrondissement du Nord, située au sud du Hainaut, dans les collines qui forment le rebord occidental du massif ardennais, sur les pentes qui dominent le cours de l'Helpe.

 La frontière avec la Belgique est toute proche. Il y a peu, nous avons été informé d'un concours sur la Résistance et la Déportation dans le Monde rural. A la recherche d'une idée de dossier, nous avons décidé d'écrire un « livre », une nouvelle sur un résistant de la région.

Plusieurs fois, que ce soit en cours ou lorsque nous nous renseignions sur la résistance auprès de certains habitants de la région, nous avons eu l'écho d'un nom de famille démarquant des autres : les Chabloz.

Nous avons eu la grande chance de pouvoir alors joindre André Chabloz qui a accepté de nous aider, et c'est pour cette raison que nous rédigeons aujourd'hui un court récit sur la vie de son père, Paul Chabloz, un de ces mystérieux mais non moins célèbres combattants de l'ombre…

La Première guerre mondiale

 C'était un 9 Février. Le 9 Février 1898. Ce jour là, un bambin nommé Paul Chabloz naissait de l'union d'un homme suisse et d'une femme française venant de Gironde, dans le Médoc. Il est impossible aux humains de connaître d'avance l'avenir d'un homme, cependant si l'opportunité s'était présentée à cette époque, les parents de l'enfant auraient été bien fiers de savoir ce qu'il allait devenir par la suite…Cette naissance avait eu lieu au Cateau, lieu où l'industriel Mr. CHABLOZ avait rencontré Mme Julia BERON.  Elle était fille d'un professeur d'institution protestante au Cateau. Ensemble, ils eurent cinq enfants : Albert, Renée, Paul, Liliane et Edmond.

C'est dans la région que Paul Chabloz grandit et étudia : tout d'abord au collège du Cateau, puis au lycée de Saint-Quentin dans l'Aisne, et ce jusqu'au baccalauréat. Mais déjà, une première guerre l'attendait, peut-être par ironie : le conflit de 1914-1918 éclata et l'obligea à interrompre son instruction... Comme bien des guerres, celle-ci fit des ravages… Pour Paul Chabloz, elle se chargea de marquer toute une enfance : le frère aîné de Paul, Albert, était sergent d'active dans l'armée française en 1914. Il participa à la bataille de Charleroi, de la Marne, puis à la guerre des tranchées. Il a ainsi obtenu, parmi les premiers, la croix de guerre pour faits d'armes. Mais c'est pour cette raison qu'il fut fait prisonnier en Février 1916 au Fort de Vaux près de Verdun. Arrivé là-bas, il décida d'écrire à ses parents…

mais les allemands l'apprirent et internèrent alors son père. Ils  pillèrent ensuite ses magasins, ses ateliers de construction, en détruisant à la masse toutes les machines-outils, tout ce qu'ils ne pouvaient emporter… ceci à titre de représailles. Pas de dommages de guerre pour les firmes suisses… ce fut la ruine totale ! Et cela sans compter les habitations et les dépendances qui avaient été pillées et gravement endommagées lors des combats d'Octobre 1918…

La guerre semblait aimer à détruire ce qui était précieux aux yeux des hommes, mais elle permit à Paul Chabloz de s'endurcir et commença à forger ses idéaux.

Dès la fin de la 1ere Guerre mondiale, Paul Chabloz fit son service militaire jusqu'en juin 1920, en tant qu'interprète d'allemand à la Commission de Délimitation de la frontière Germano-Belge. Il devint ensuite agent d'assurance à Avesnes.

C'est en 1923 qu'il connut un des plus grands bonheurs de la vie : il se maria avec Marcelle DEGON. Elle était, tout comme lui, une femme courageuse. Lors de la Première guerre mondiale, elle avait aidé avec la nurse Miss CAVELL, a sauver des soldats français et anglais en les faisant rejoindre l'Angleterre par la Hollande, au travers des hordes teutonnes. Ce dans le Nord et en Belgique. Ils eurent quatre enfants : Evelyne, Jean-Paul, Simone et  André le 26 Octobre 1931. Aujourd'hui, c'est lui qui nous raconte l'histoire de son père. C'est grâce à lui que l'histoire continue, bien que les dernières pages de la vie de Paul Chabloz soient désormais rédigées et que le livre soit fermé. Il est parmi les seuls à détenir les clés de ce passé. Il nous raconte son enfance rapidement. Il n'ignorait pas les opinions de son père et de sa famille. Il savait également que ceux-ci faisaient de la résistance, mais il ne savait pas tout. Son frère aîné, de 5 ans plus âgé, vivra plus intensément la guerre et la résistance, et sera tenu au courant de bien plus de choses.

Cependant, André verra défiler bien des gens chez lui, percevra bien des conversations secrètes auxquelles il ne pourra assister… Mais ceci, tout au long de son enfance, lui paraîtra normal. Il en gardera une certaine fierté, mais une fierté silencieuse, que l'on cache au plus profond de son cœur. Comme il nous dit aujourd'hui « Je comprends tout à fait, j'aurais pu en parler inconsidérément ! » 

En 1938-1939, Paul Chabloz fut à nouveau mobilisé en tant qu'interprète à Cambrai. Il fut libéré de son poste en 1939 compte tenu de son âge et de sa situation familiale : père de quatre enfants. 

La Seconde Guerre mondiale

 Le 3 Septembre 1939, la France et la Grande-Bretagne déclarèrent la Guerre à L'Allemagne ! Le 28 Septembre 1939, ce fut la Capitulation de la Pologne. En Hiver 1939-1940, la « Drôle de Guerre » : la France et L'Allemagne se firent face sans se battre. A l'ouest, la France avait pris le parti d'une stratégie défensive en voulant éviter une guerre semblable à celle de 1914-1918. Hitler semblait vouloir entreprendre des négociations mais ordonnait dans le même temps une attaque de la France et des Pays-Bas… Les Français et les Britanniques protégèrent alors leurs frontières côtières sans vraiment croire à une attaque. Ainsi, il n'y eut

qu'affrontement maritime, avec les deux armées face à face qui ne tentèrent rien. Cependant, l'inactivité eut des répercussions quant à l'opinion française, et les allemands s'efforcèrent d'affaiblir le moral des troupes françaises par le biais d'une propagande intense, et particulièrement radiophonique. Mais après cette « Drôle de Guerre »

sans aucun affrontement terrestre, Hitler reprit l'initiative le 10 mai 1940. Les troupes alliées se jetèrent dans un piège en Belgique (vers Namur), tendu par l'état major allemand appliquant le plan de Manstein : ils attaquèrent principalement les Ardennes, ainsi l'armée française fut coupée en deux !

Dix divisions allemandes, dont sept blindées, passèrent à l'offensive plus au sud sous la direction de Heine Guderian, à travers les Ardennes mal défendues, et franchirent la Meuse le 13 mai. Le 15, les Pays-Bas capitulèrent. En 3 jours, le front fut disloqué. Le général Weygrand nommé généralissime allié en remplacement de Maurice Gustave Gamelin organisa une ligne de défense sur la Somme.

Mais les troupes allemandes changèrent de cap et encerclèrent dans les Flandres quarante-cinq divisions qui se replièrent sur Dunkerque après la capitulation Belge. 200 000 Britanniques et 130 000 Français furent évacués.

Ainsi, la campagne de France ne dura que six semaines… D'après certains, la France n'était pas préparée. Cette courte guerre fut surtout dû au piège que les allemands nous tendirent : nous qui les attendions à l'Est, ils étaient arrivés par le Nord… C'est pourquoi dès le 17 juin 1940, le maréchal Pétain, ce « héros de Verdun », fut rappelé en France pour occuper la fonction de vice-président du Conseil auprès de Paul Reynaud, et obtint par la suite les pleins pouvoirs. Dès ce jour, il présentait une demande d'armistice aux allemands, aux côtés d'Albert Lebrun. Celui-ci fut signé le 22 juin 1940 à Rethondes, tout comme pour celui de 1918… Dès lors, les conséquences de la défaite furent sévères : les clauses dans le traité coupèrent la France en deux, les armées durent   être démobilisées. La flotte française passa sous le contrôle Italo-allemand et le gouvernement partit s'installer à Vichy.

C'est ainsi qu'en mai 1940 commença l'exode. Enormément de gens fuirent l'occupation allemande et l'arrivée des troupes : Paul Chabloz et les siens en font partie. Ils se réfugièrent tout d'abord à Caen où Paul Chabloz devint  secrétaire du Commissaire de Police (2e arrondissement)  pendant un mois. Ils durent continuer leur exode jusqu'à Jonzac (17). Le pasteur du lieu le présenta alors au sous-préfet Mr.Lecene (un « gaulliste de première heure »). Ils sympathisèrent bien vite et sur une

demande de celui-ci, Paul Chabloz fut nommé interprète à la Kommandantur de Jonzac… Et le 14 juillet 1940, il devint résistant !

Il prit le surnom de « Chevesnes ». C'était un nom de poisson, car il était un pêcheur invétéré. Cependant, on y trouvait également le subtil mélange d' « Avesnes » et de « Chabloz »…C'est ainsi qu'il vécut ses premières aventures et qu'il découvrit quels étaient les risques encourus suite à un engagement tel que celui qu'il avait pris. A maintes reprises, il faillit y laisser la vie… Il avait pour rôle clandestin de renseigner, par le truchement du Sous-préfet, les services de la France libre de Londres. Une fois, il manqua d'être pris en flagrant délit alors qu'il tentait de dérober des documents ultrasecrets signés de la main d'Hitler. Huit jours après cette algarade, il s'en empara en incendiant les locaux de la Kommandantur… et les remit à leur place le lendemain après en avoir pris copie. Il sauva également un prêtre catholique et un capitaine de gendarmerie qu'il tira in extremis des griffes des allemands.

Il rendit également de nombreux services bénévolement à la population et aux réfugiés, au Service des Renseignements Militaires Alliés, et diffusa une propagande gaulliste dans tout l'arrondissement, sans oublier toutes les lettres de délation anonymes et signées qu'il supprima...

Retour dans le Nord

 Fin Novembre 1940, Paul Chabloz regagna le Nord en compagnie des siens, et rentra à Avesnes sur Helpe. Il y découvrit sa maison complètement pillée… Dès son arrivée, encore emprunt de ses expériences, il chercha à entrer en contact avec des résistants. Pendant ce temps, la collaboration avec l'Allemagne prenait forme. Le 20 octobre 1940 avait lieu l'entrevue de Montoire. Le 30 octobre 1940, la radio française diffusait : " J'ai rencontré jeudi dernier le chancelier du Reich. (…) C'est librement que je me suis rendu à l'invitation du Führer (…) Une collaboration a été envisagée entre nos deux pays. J'en ai accepté le principe (…). C'est dans l'honneur et pour maintenir l'unité française (…) que j'entre aujourd'hui dans la voie de la collaboration.  "     Le gouvernement de Vichy était une dictature… on s'en aperçoit avec le recul. Des libertés minimes commençaient à être ôtées aux populations, comme le droit de chasse qui entraîna la réquisition des armes. Mais alors que de plus en plus de mesures étaient prises, des groupes de résistance commençaient à se former lentement, dans la plus grande discrétion. On ne voulait pas se soumettre.

On souhaitait se battre. On voulait conserver une liberté… mais que faisait donc Pétain ? C'est ainsi  que Paul Chabloz lança toute une propagande gaulliste.

Puis, en compagnie d'un groupe de camarades sûrs, il rechercha, camoufla et entretint des armes de guerres abandonnées lors des combats de mai 40. Ces armes qui leur semblaient si précieuses... 1er mars 1942, il parvint à rentrer en contact à Paris avec la Résistance, grâce à un envoyé du général De Gaulle, le chef du Réseau de la CND de Castille : « Confrérie Notre Dame de Castille ». Il se nommait Gilbert Renault, allias « Le Colonel REMY », (bien connu par la suite pour ses ouvrages sur la résistance et dont plusieurs sont devenus des best sellers.)Ils organisèrent leur première réunion… qui faillit leur être fatale ! Elle comprenait 11 membres –dont 9 furent, depuis, fusillés-… mais eurent la visite inopinée de la Gestapo ! Bien heureusement, chacun s'en sortit.   Dès lors, Paul Chabloz fut chargé d'organiser les 3 Arrondissements d'Avesnes, de Cambrai et de Vervins. Un tel travail ne pouvait s'exécuter seul, et les résistants n'opéraient jamais en solitaire… Il contacta donc ses amis BECART (déporté par la suite), Gaston DELOFRE, vice-président de la D.M (Délégation Municipale), et Michel GOSSART (Président de la D.M d'Avesnes). Ils mirent ensemble en chantier l'Organisation Civile et Militaire de l'Avesnois.

Le premier message personnel de Paul Chabloz passé par la B.B.C fut « JE VEUX DE LA POUDRE ET DES BALLES » C'était le dernier vers du poème de Victor Hugo : L'enfant Grec. Entendre cette phrase, savoir qu'elle vous était destinée de « là-bas », de cet endroit si proche et si loin en même temps… de ce lieu où des gens comme vous tentaient à l'encontre du gouvernement, de libérer la France ! Pour quelques secondes et quelques mots, ce fut une bien grande émotion qui submergea le destinataire… Le temps s'arrêta comme par respect. Cette phrase signifiait beaucoup : nous ne sommes pas seuls !

Les actions d'un résistant

 Par la suite, Paul Chabloz devint Chef du Sous-Réseau Nord-Est de la CND. Dans les seuls secteurs de son activité, il comptait en Juin 1943, plus de 6.000 résistants enrôlés. Leurs activités consistaient :

- à créer des services de fausses cartes d'identité et d'autres pièces 

 - à renseigner les Alliés de France Libre et de Londres ;

- à piller des mairies pour fournir des cartes de ravitaillement destinées aux clandestins et aux réfractaires  - à saboter des voies ferrées, des usines, des locomotives, des camions et des autos  - à rapatrier via la Suisse ou l'Espagne, par des filières secrètes, des aviateurs alliés tombés en parachutes d'avions abattus, ou encore

de saboteurs et d'autres résistants connus de l'ennemi et traqués 

- à rechercher des points de parachutages d'armes, des emplacements de dépôts de ces armes et du matériel, explosifs et autres. - à stocker des denrées

- à créer des Services de Santé : médecins, chirurgiens, infirmiers prêts-à-porter secours à un quelconque blessé - à entraîner des équipes pour la réception des parachutes et de leurs containers   - à installer des postes radios, Hébergement de leurs opérateurs (qui devaient être continuellement transportés d'un endroit à l'autre pour tromper les autos boches et leurs radars

- à créer des Service de codage et de décodage des messages envoyés et reçus

- à se préparer au combat avec les armes nouvelles et les engins spéciaux parachutés…

           Ses groupes étaient très compartimentés pour éviter les arrestations en série… Inutile de parler de ceux qui étaient pris. Les malheureux étaient martyrisés par la Gestapo, torturés de bien des façons, plus douloureuses et atroces les une que les autres. Que ce soit par la schlague qui vous enlevait des lambeaux de chairs, par l'écartèlement, la pendaison par les bras attachés… ce supplice atroce, où, les poignets solidement attachés dans le dos, on vous suspendait à un crochet… puis on ôtait violemment le tabouret qui vous soutenait. Les bras retournés, une impression que tout allait soudain se déchirer, vos articulations, votre poitrine même…inutile de décrire jusqu'au bout ce supplice ni même d'en citer d'autres : on parlait parfois… Gaston LEPINE, résistant dans l'Avesnois arrêté le 3 juin 1944 puis évadé, se souvient en murmurant : « Je n'ai pas parlé mais qui peut prétendre être sûr de tenir sous la torture ? » il ajoute ensuite d'une voix forte : « Personne ! ». Qui peut le contredire ? Qui peut oser lui dire qu'il a tort ? Nombreux sont ceux qui se sont donné la mort pour ne pas parler… Paul Chabloz avait toujours sur lui des pastilles de cyanure de potassium !   On comptait parmi les groupes de Paul Chabloz des « coups de main », des gendarmes (officiers et hommes), des douaniers, des magistrats, des employés de chemin de fer, des Postes, des maires, des gardiens de prison…

 

 Les contacter n'était pas une mince affaire. La France se trouvait divisée, et en 41, au maximum 5% de la population était gaulliste. Les autres suivaient le maréchal Pétain, ce « Héros de Verdun ». Dans les campagnes, particulièrement en zone libre, les paysans étaient pétainistes :

 le Maréchal Pétain mettait en avant le monde rural et leur rendait hommage. Flattés, ils ne prenaient pas encore conscience des conditions de la France. Fiers de

nourrir les villes, ils accueillaient les citadins qui s'approvisionnaient dans leurs fermes. Une nouvelle devise fut décidée pour l'Etat Français (« Travail, Famille, Patrie ») qui adopta dès octobre 1940 des mesures antisémites. On trouvait ainsi des collaborateurs pro-allemands. Ils étaient souvent poussés par le manque d'argent et l'attrait qu'il avait tout particulièrement à cette époque. Des fortunes s'édifiaient très vite grâce au trafic avec l'occupant, et le marché noir était roi ! Parfois, c'était uniquement l'adhésion aux idées nazies qui poussait à dénoncer : on admirait Hitler car il avait su « remonter » L'Allemagne.

Chez les bourgeois, on trouvait le plus grand nombre de pétainistes, et beaucoup étaient antisémites… Dans la région, un résistant avait dénoncé tout son réseau : PLANTAIN, originaire de Cambrai, agent de liaison basé sur Landrecies, était tombé amoureux de la femme de son chef. Il l'avait alors dénoncé, et le réseau par la même occasion… suite à cet incident, la majorité fut déportée… Imaginez donc les risques que l'on prenait à tenter d'enrôler des hommes ! Paul Chabloz, à maintes occasions, dû fuir de chez lui après avoir été dénoncé. Il devint avec le temps bien connu et recherché dans toute la région.

Parfois, on forçait un peu la main des gens… suite à un de ces exemples d'enrôlement forcé, Paul Chabloz nota dans son carnet : « Ordre vient de Londres par radio, en code secret évidemment, de contacter des Officiers de la Gendarmerie et de la Douane, ce, dans mon secteur.

Quelques jours après, en Décembre 1942, je trouve, passant là par hasard, le capitaine de gendarmerie de X. en conversation avec une dame, devant la caserne. Il est 13 heures. Je m'arrête, m'excuse de le déranger. La dame nous quitte. « Capitaine, j'ai à vous entretenir de choses d'une extrême importance 

- Venez à 14 heures, ma femme m'a déjà appelé plusieurs fois pour le déjeuner.

- Impossible, c'est trop urgent. Rentrons dans votre bureau, je n'en aurai que pour deux minutes. »

 Et là : « Personne ne peut nous entendre ici ? 

- Non.

- Je me présente donc…

  Je vous connais, vous êtes M.Chabloz, agent d'assurances !

- En ce moment, je suis le Commandant Chevesnes des forces Françaises Combattantes. » Et regardant ma montre : «

« On sait à Londres que je vous contacte aujourd'hui à 13 heures. J'ai une absolue confiance en votre patriotisme. Je sais que vous ne me dénoncerez pas aux Boches. Mais les instructions que je viens de recevoir de Londres sont formelles : je dois vous informer que j'ai une équipe de tueurs ! S'il m'arrive n'importe quoi du fait d'une imprudence de langage de votre part, vous, votre femme et votre fils serez immédiatement abattus ! Je regrette d'être aussi franc : j'ai des ordres ! Je n'ai d'ailleurs qu'une seule question à vous poser : quel sera votre comportement, lors du débarquement Alliés en France ? Serez-vous avec les Boches et les Milices de Pétain ou serez-vous avec nous ? »

Le Capitaine était blanc comme un mort. Il m'a néanmoins, sans hésitations, tendu la main :

« Vous pouvez compter sur moi, mon Commandant !

- Demain, Londres connaîtra votre accord. » 

J'avais sa parole. Quelques temps après, je l'utilisais pour d'importantes missions. J'avais trouvé cette histoire de tueurs pour lui faire peur et l'avoir avec moi, car on m'avait prévenu qu'il était assez « douteux » parce que très opportuniste… et j'avais à prendre mes précautions. »

Commandant Chevesnes

 Le 1er Novembre 1942, Paul Chabloz fut nommé Commandant. Il l'apprit par son Chef, « REMY », qui l'en informa alors qu'il  revenait de Londres. Par la même occasion, il lui apprit qu'il retournait définitivement  auprès du Général De Gaulle, par ordre de ce dernier dans les derniers jours de Décembre. REMY était en effet traqué par la gestapo, et était considéré comme un « pestiféré ». Il devenait alors trop dangereux pour les groupes de résistance de l'Intérieur  de par son statut de recherché, menaçant de les découvrir involontairement. C'était un des risques de tout résistant bien impliqué… Le 31 Décembre 1942, il quitta donc la France pour Londres. A cette date, le responsable de l'O.C.M vint le chercher chez lui, et en entrant, prononça la phrase convenue :

 « Je viens de la part de TOURELLE et ROUSSEAU ». Tourelle étant le chef de la Région A qui allait du Havre à Charleville, longeait les côtes de la Manche et la Frontière franco-belge ;

 et Rousseau étant le responsable d'un des groupes organisés à Paris. Il chargea Paul Chabloz de verser chacun de ses groupes dans un autre réseau : L'O.C.M.

Pendant ce temps, Paul Chabloz restait en France, et devenait également de plus en plus recherché. Cependant, il continuait ses actions avec l'O.C.M.. Il devait également préparer les « Comités de Salut Public », en vue de la libération à venir que chacun espérait. Les risques qu'il prenait étaient de plus en plus importants, et la Gestapo était un peu son pire ennemi. Gestapo ou encore « Geheime Staatspolizei »,  cette grande police secrète de l'Etat, cette police de l'Allemagne nazie créée par Hermann Göring, le ministre de l'Intérieur de Prusse, le 29 Avril 1933, ceci à partir de la section politique de la police de la République de Weimar. Cet homme en avait étendu considérablement les pouvoirs en la plaçant hors de toute contrainte constitutionnelle et légale. Elle était chargée d'éliminer toute opposition au régime national-socialiste. Les décisions qu'elles prenaient n'avaient pas besoin de la sanction des tribunaux. Elle procédait à des exécutions sommaires et se livrait aux pires exactions, faisant interner nombre de suspects en camp de concentration… En avril 1934, elle avait changé de main : Heinrich Himmler, le rival de Göring,  dirigeait les SS (Schutzstaffel), et avait pris le contrôle de la Gestapo, ce qui le menait en juin 1936 à la direction de toutes les forces de polices allemandes. La police criminelle (Kripo), la Gestapo dirigée depuis 1935 par Hermann Müller, qui avait derrière lui une longue carrière de policier au service du régime de Weimar, et le Sicherheitsdienst (SD) avaient été confiés à Reinhard Heydrich.

Lors de la concentration de l'ensemble de l'appareil policier allemand au sein du Reichssicherheitshauptamt (RSHA), en septembre 1939, la Gestapo était devenue l'Amt V de cet organisme. Progressivement, elle devint également l'un des principaux instruments du système policier du IIIe Reich, utilisant les moyens les plus odieux pour traquer les résistants. Elle était, dans nos territoires occupés, le symbole de la terreur nazie outrepassant les pouvoirs qui lui étaient dévolus. Elle absorbait la police des frontières (1937), celle des armées (Feldpolizei, en 1942), et intégrait les Einsatzgruppen, commandos chargés de massacrer sur le front de l'Est les dirigeants locaux et les Juifs.

 En France, elle absorbait les services militaires de la police secrète de campagne, renforçait considérablement l'action de ses quelques 1 500 policiers allemands par le

concours de plus de 40 000 auxiliaires français, la Milice, que Paul Chabloz devait craindre également. Ces deux là procédaient à un nombre considérable d'arrestations… Elles torturaient des pires façons les hommes et les femmes qui se retrouvaient entre leurs griffes. Le Moyen Age et ses tortures paraissait bien agréable face à de telles atrocités… Combien d'hommes souffraient le martyr, torturés par la Gestapo, la Milice… et parfois des traîtres français ! On leur arrachait les ongles, on les mutilait, on les asphyxiait dans des baignoires, on faisait passer du courant électrique dans leurs centres nerveux mis à vif, on les fouettait de coups de nerfs de bœufs jusqu'à les voir perdre connaissance, on les brûlait, les lacérait, leur projetait de l'acide… Comment imaginer de telles horreurs ? Peut-on se mettre à leur place et comprendre quelle a été leur épreuve ? Peut-on seulement se rendre compte de la déchéance humaine et du sadisme de ces hommes, si l'on peut encore les nommer ainsi… Souhaiter connaître le nom d'un homme, d'un chef, les secrets de cachettes quelconques justifiait-il de telles atrocités ?

 Ils leur arrivaient de brûler les seins des femmes de leur cigare allumé, ce cigare qu'ils savouraient pour certains durant ces entrevues, face à ces hommes et ces femmes mis plus bas que terre par leurs bons soins…

Fermez les yeux un instant, essayez d'imaginer une telle scène… essayer de souffrir à la place de ces gens, de vous approprier leur douleur… Et sachez alors que quand bien même vous parleriez pour voir arrêter ces supplices, les tortures pouvaient se renouveler jusqu'à la mort…

Paris refuge

 En Juillet 1943, une nouvelle mission pour Paul Chabloz : LISFRANC, chef OCM du Nord, fut pris avec son Lieutenant D'HALLENDRE… Paul Chabloz accueillit alors la femme de celui-ci avec leurs deux enfants : un fils de 4 ans, et une fille de 2 ans.  Ils séjournèrent chez les Chabloz 2 mois. D'HALLENDRE n'eut pas cette chance et il fut emmené avec sa femme et son fils de 19 ans…

Le 6 Septembre 1943, un agent de liaison du Cateau l'avisa de l'arrestation du responsable de Cambrai (comandant RICHEZ) et de BERIOT (Responsable de Valenciennes). Ayant un mauvais pressentiment et le cœur battant la chamade, il prépara ses affaires en vitesse et quitta sa maison pour Paris.

Une demi-heure après son départ, la maison était cernée, ne heure après, la Gestapo

était chez lui… Que s'était-il passé ? Depuis trois mois, LISFRANC, D'HALLENDRE et les siens avaient subies les pires tortures. Durant  trois mois, ils n'avaient rien dit, ne trahissant pas les leurs… Cependant, D'HALLENDRE était dans une position plus inconfortable que les autres : devant ses yeux, sa femme et son fils étaient chaque jour malmenés et torturés des pires façons. Il les voyait souffrir, crier, supplier… Son cœur d'homme n'avait pu résister : il avait parlé !

Et le 6 Septembre, alors que Paul Chabloz était en route pour Paris, les responsables du Nord avaient été, presque dans la même heure, pris et emmenés par la Gestapo. Paul Chabloz était le seul survivant des  sept chefs du Nord !

  Malgré ce triste épisode, Paul Chabloz continua ses actions de résistant ! Il avait été nommé Responsable des Maquis de 5 Départements de la Région A. C'était une nouvelle vie, une nouvelle identité à prendre puisqu'il était désormais dénoncé. C'est ainsi qu'il devint le colonel DELAPORTE.

En Octobre 43, il eut la grande chance par un heureux hasard de se trouver avec le « Gotha », le livre noir de la Gestapo, entre les mains. Il y découvrit avec stupeur deux pages entières donnant son signalement. Hébété, il lu la description des vêtements qu'il portait avant sa disparition d'Avesnes, aperçu quelques photos de lui de face et de profil, ainsi que nombre de renseignement à son sujet. Sa tête était mise à prix 2 millions de francs…

A Avesnes, pas loin de la maison des Chabloz, nous pouvons voir un magasin d'outillage nommé « Chez Deflandre ». A cet endroit même se dressait autrefois un magasin de vêtements où s'habillait Paul Chabloz. Le vendeur avait collaboré avec la Gestapo, et avait donné la description de chacun des costumes de son client. La Gestapo connaissait ainsi tous les costumes de Paul Chabloz !)

 Toujours en Octobre 1943, Paul Chabloz faillit être reconnu et pris par trois fois. Chaque fois, c'était le même scénario : revolver dans les reins, cerné par des tueurs…  Lors d'un de ces épisodes, il avait rendez-vous à Arras avec différents responsables  de secteur de la Région A pour les Maquis. Ils devaient se retrouver dans une brasserie pas loin de la gare. Paul Chabloz s'y rendit et aperçu très rapidement ses confrères. Mais en entrant, il remarqua un homme attablé seul. Tout de suite, il se sentit méfiant.

On pouvait appeler cela de l'instinct : à force d'être traqué sans cesse, on finissait par connaître un peu mieux son ennemi et déceler chez certaines personnes leurs véritables intentions… C'était d'ailleurs préférable pour des résistants qui prenaient tant de risques tel Paul Chabloz. Ce genre de résistant étaient en contact permanent avec des gens, cherchaient régulièrement à enrôler de nouvelles recrues et tout cela en évitant soigneusement d'être reconnu. C'était sans compter sur les espions que l'on envoyait  se mêler aux populations civiles pour s'infiltrer dans les réseaux…

Toujours est-il qu'à peine entré, Paul Chabloz fut sur ses gardes. Il alla s'attabler tout naturellement auprès de ses compagnons et ils commencèrent à manger. Ils échangèrent rapidement quelques propos, tout en faisant bien attention de ne pas être entendu. Paul Chabloz surveillait du coin de l'œil l'homme qui prenait son repas tranquillement, sans leur prêter la moindre attention. Ils finirent leur repas sans qu'aucun incident fâcheux ne se soit déroulé, et ils se séparèrent. Cependant, Paul Chabloz resta à parler avec un ami sur le quai de gare. Ils allaient tout deux se séparer à leur tour, Paul Chabloz retournant à Paris et son ami dans son secteur, quand soudain, l'homme de la brasserie se dirigea vers eux. Paul Chabloz le vit s'approcher de loin:

« Excusez-moi monsieur, puis-je savoir où vous allez ? » 

Tout de suite sur le qui-vive, il garda malgré tout son sang-froid mais décidé de mentir. Il répondit alors tout naturellement :

« Je vais sur Lille, Monsieur - Oh, vous êtes de la région ? J'ai une police d'assurance sur Avesnes, et je souhaiterais m'y rendre. Pourriez-vous m'indiquer le train que je dois prendre ? - Avesnes ? Je ne connais pas, je vous prie de m'excuser. Vous devriez vous adresser à la gare. »

L'homme le scruta un instant, puis le remercia et se détourna. Paul Chabloz monta ensuite dans le train et prit la route pour… Paris !

Dans le train, il réfléchit à l'incident qui venait de se dérouler : l'homme était sans nul doute un agent qui avait essayé de le découvrir, sa démarche était claire : il aurait souhaité voir Paul Chabloz le considérer comme un client de son ancienne agence d'assurance et lui indiquer comment se rendre à Avesnes…Chaque jour, chaque heure de vie d'un résistant, étaient une véritable épreuve de survie !

Le 12 Décembre 1943, Paul Chabloz est condamné à mort par contumace, de même que Lisfranc, D'Hallendre, Beriot et Torgue. Eux seront exécutés après tortures le 27 Décembre 1943 au fort de Bondues…



25/07/2009
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